Page 39 - Le travail post-retraite
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Pas d’avenir pour l’économie sans les seniors
par les cheveux quitte à se fracasser dans un cul-de-sac temporel si l’on se trompe. »
Bruckner plaide même pour la jeunesse d’esprit et le brin de folie créative. Ils favorisent l’adaptation à l’inédit. « Il est possible que l’im- maturité prolongée au-delà des dates permises soit aussi un atout, une façon de rester face au monde en état d’étonnement jusque sur le tard. » Cette aptitude à affronter l’inhabituel à partir du bagage de compé- tences cumulées fait la qualité du travailleur post-retraite. Acceptée, la prise de risque que sa mission comporte lui apportera la satisfaction de s’être dessiné une vie à lui (ou à elle) plutôt que d’avoir endossé l’uniforme routinier d’une retraite sans surprise.Les instants vécus hors limites se pareront définitivement d’une vraie saveur fraîche.
«C’est le charme des départs, des ruptures que de nous basculer dans l’inconnu et de creuser au sein de la trame du temps une déchirure bénéfique. » La chronologie de l’existence n’est pas réversible. Des portes sont fermées, on n’est plus « dans l’ivresse de l’illimité ». Mais se laisser interroger par de nouveaux défis est source d’un bonheur qui l’emporte sur un quotidien pré-écrit par une fin d’activité trop bien planifiée. «Peut-être faut-il pour éviter la rouille de l’âme, loger en soi son bon ennemi, selon un précepte des Évangiles, un daïmon fécond et non sté- rile (...), celui qui vous réveille et vous stimule par son aiguillon. »
Pour stimulantes qu’elles soient, les suggestions du philosophe n’ont rien d’intimidant. Vivre vraiment, c’est être en mouvement. La réussite n’est pas l’essentiel. « Le concept de réussite a ceci de gênant qu’il semble clore la recherche puisque l’état le plus désirable a été atteint comme si l’aventure était finie. » La préférence du co-auteur du Nouveau Désordre amoureux50 va à l’idée de « vie épanouie ». « Une vie qui s’ouvre au trouble de l’imprévu, échappe à l’obligation du bilan, engage un pouvoir d’ave- nir, fut-elle proche de son terme. »
Cette idée est aussi l’une des clés majeures de l’aptitude à embrasser de nouvelles missions avec la liberté d’esprit, la curiosité qui présagent le succès en évitant de s’enkyster. «Il y a une fatigue d’être rivé à soi comme l’huître à son rocher et une beauté de se quitter un peu, d’être mis à l’épreuve de la nouveauté ou de l’altérité. » Tout défi n’est pas à la portée du senior mais « la quête d’une vie captivante doit obéir à deux injonctions contradictoires : se satisfaire pleinement de notre sort mais aussi rester attentif aux rumeurs du monde, aux choses étrangères ».
Cette maîtrise de soi offre des satisfactions dont le professionnel peut avoir été privé dans certains des postes qu’il a occupés. Mais elles
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